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03 novembre 2008

Retour sur Bétancourt

"Pour la libération d'Ingrid Bétancourt, la France s'est compromise avec les FARC"

Propos recueillis par Jérôme Bouin (lefigaro.fr)

Le 24 octobre dernier, Ingrid Betancourt a été distinguée en Espagne par le Prix Prince des Asturies de la Concorde 2008. Elle « personnifie tous ceux qui, dans le monde, sont privés de liberté » a indiqué le jury.

INTERVIEW VIDÉO - Jacques Thomet, ancien journaliste de l'AFP à Bogota, tente de faire la lumière sur les coulisses de la libération de l'otage franco-colombienne le 2 juillet 2008. Une affaire pas vraiment glorieuse pour les autorités françaises.

Début 2006, Jacques Thomet publiait un livre sans concession sur l'affaire Betancourt. Sans concession pour les proches de celle qui était encore aux mains des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) et qui, selon l'auteur, n'avaient de cesse d'accabler le président colombien, coupable à leurs yeux de saper les efforts destinés à la libérer. Sans concession non plus pour la France qui s'est notamment fourvoyée dans une expédition-fiasco en 2003, menée sans même avertir les autorités sud-américaines. Sans concession enfin pour Ingrid Betancourt, icône médiatique en France, beaucoup moins à Bogota, dont les liens privilégiés avec Dominique de Villepin ont contribué à rendre la cause prioritaire aux yeux des Français. Ingrid Betancourt libre, Jacques Thomet, ancien journaliste de l'AFP à Bogota, a souhaité revenir sur ces 6 ans de séquestration. Il tente de faire la lumière sur le rôle respectif de la France, de la Colombie, mais aussi des pays voisins, dans les négociations, les opérations secrètes menées six années durant et qui ont abouti à la libération de l'otage.

LEFIGARO.FR. - Quel a été le rôle de la France dans les négociations multiples menées pour obtenir la libération d'Ingrid Betancourt ?

Jacques THOMET. - La France n'a eu absolument aucun rôle dans cette libération puisque l'opération «Jaque» (mise en échec) a été réalisée par le président Uribe sans en informer au préalable Paris. Au contraire, la France a servi d'appât puisque, la veille de la libération, la présidence colombienne a annoncé que Noël Saez, l'émissaire français auprès des Farc, et son homologue suisse, étaient partis à la rencontre d'Alfonso Cano (chef des Farc depuis la mort de Manuel Marulanda, ndlr). Il s'agissait d'un écran de fumée destiné à cacher l'opération en cours.

Mais la France n'est pas restée les bras croisés pendant ces six années de détention …

Tout ce qu'a fait la France a contribué à braquer le régime colombien, par des initiatives visant à attaquer la position de Bogota. À tel point qu'on croyait, en France, que c'était le régime colombien qui était responsable du drame d'Ingrid Betancourt. Pendant ce temps, la France ne «tapait» pas sur les principaux responsables : les terroristes de la guérilla. Je rappelle d'ailleurs que l'Union européenne a classé les Farc sur la liste des organisations terroristes depuis 2002. On a évoqué en France la seule affaire Betancourt alors que des gens sont aux mains de cette guérilla depuis onze ans.

Peut-on au moins concéder un certain volontarisme à Nicolas Sarkozy ?

Non. Il n'a fait qu'empirer les choses. J'ai été choqué qu'à deux reprises il puisse s'adresser au chef des Farc, en l'appelant ‘Monsieur'. On ne traite pas avec tant d'égards le chef d'un groupe terroriste qui enlève même des enfants. Lors d'une visite au Proche-Orient, Sarkozy avait dit qu'il ne discuterait avec aucun groupe terroriste. Au même moment, des émissaires français tentaient de rencontrer les Farc. Ce double langage est révoltant. Sans compter qu'en demandant des concessions au gouvernement colombien, qui en a déjà fait beaucoup, la France a fait monter la valeur de Betancourt aux yeux des Farc. Rappelons que les intentions de vote en sa faveur étaient de 0,2% quand elle a été enlevée en 2002, à quelques mois de la présidentielle. Elle est ensuite devenue ‘la poule aux œufs d'or'. On sait aujourd'hui, à travers certains courriers de la guérilla, que les Farc n'avaient pas l'intention de la libérer.

Paris a toujours nié avoir versé de l'argent aux Farc pour obtenir la libération de la franco-colombienne. Sur quelle base pouvez-vous aujourd'hui affirmer le contraire ?

Le 1er mars 2008, le bombardement du camp de Raul Reyes, numéro deux de la guérilla, a permis à l'armée de retrouver du matériel informatique. Les 38.000 dossiers mis à jour ont été analysés et validés par Interpol. Dans un d'entre eux, une lettre de Reyes à l'émissaire français Noël Saez, le premier reproche au second d'avoir versé de l'argent, au nom de la France, non aux Farc mais à une autre organisation. De l'argent perdu. Rappelons qu'aucun de ces fichiers n'a été démenti jusqu'à maintenant*.

A travers ce livre, ne risquez vous pas d'être suspecté de militer en faveur d'Alvaro Uribe, le président colombien ?

Non. Notez que je n'ai jamais eu de réponse à mes demandes d'interviews d'Uribe. Au contraire, il ne m'a jamais pardonné d'avoir été interviewer Raul Reyes dans la jungle, alors même qu'il n'y avait plus à cette époque de négociations de paix, et sans demander aucune autorisation. Tout ce que je rappelle sur cette affaire et qui me vaut en France les critiques d'observateurs qui ne connaissent rien à la Colombie, notamment les comités Betancourt, c'est que le régime colombien n'est pas dictatorial. C'est un régime démocratique. Le président a été élu à deux reprises, à chaque fois au premier tour.

La France a évoqué récemment la possibilité d'accueillir un ancien guérillero dont la défection a permis la libération d'un otage. Paris s'est-elle déjà illustrée par des concessions de ce genre ?

Plus d'une dizaine de proches de chefs de la guérilla sont actuellement hébergés en France, notamment en région parisienne, avec le statut de réfugiés politiques. Ils touchent même des subsides de plus de 1000 euros par mois. On en a la preuve à travers les courriers de Reyes.

Mais ces personnes seraient sans doute en danger si elles étaient restées en Colombie …

Oui mais il est déplorable qu'il faille lire les courriers de Raul Reyes pour que cela se sache. Il s'agit d'argent public. Plus grave, je pense qu'il s'agit de concessions faites par la France pour obtenir des contreparties de la guérilla. Seulement cette dernière n'en n'a jamais faite aucune.

La libération de quinze otages dont Ingrid Betancourt le 2 juillet dernier a-t-elle affaibli définitivement les Farc ?

Absolument. Mais cet affaiblissement tient avant tout à la disparition de plusieurs leaders des Farc : Raul Reyes, mais aussi le numéro trois Ivan Rios, et Manuel Marulanda, le fondateur de la guérilla. D'autres se sont rendus ou ont été éliminés. Le chef actuel, Alfonso Cano, se trouve isolé par l'armée au centre du pays. C'est une véritable débandade.

Croyez-vous qu'Ingrid Betancourt ait définitivement renoncé à son rêve de devenir présidente de la Colombie ?

Plus le temps passe, plus elle est discréditée en Colombie. Elle n'a pas participé, trois semaines après sa libération, avec des millions de Colombiens, à une marche contre les prises d'otages. Cela a nui à son image là-bas. Elle se dit menacée, mais tous les députés sont menacés en Colombie. Le plus exposé, n'est-ce pas le président colombien ? Il risque sa peau tous les jours.

* Ces fichiers ont aussi prouvé la bienveillance dont les Farc ont bénéficié de la part des autorités vénézuéliennes et équatoriennes.

Les secrets de l'opération Betancourt, Fayard, 18 euros.

 

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